Regardons ces Mangeurs de Ricotta (vers 1580)
Vincenzo Campi
Tous sont réunis autour d’une belle motte de ricotta bien alléchante, chaque visage reflète un sentiment. La femme à gauche pourrait être la maîtresse de maison satisfaite de servir pareil mets, à sa droite son hypothétique mari laisse apercevoir la même expression : l’orgueil. Le personnage au centre quant à lui est magnifiquement figé dans un élan sensuel, la bouche ouverte s’apprête à accueillir le contenu de la louche qu’il tient dans sa main, la gourmandise, son voisin se gave magistralement – il en déborde, c’est la luxure. Prêtons maintenant plus attention à la motte : celle-ci est en fait la représentation symbolique d’un crâne. La peinture de Vincenzo Campi sert à représenter notre condition, notre vanité, comme la nourriture nous sommes périssables, éphémères et consommables. Nous sommes ce que nous absorbons, consommons, transitoires et interchangeables.
Fin de repas – Daniel Spoerri
Ainsi, attaché à cette histoire de la nourriture, Daniel Spoerri fait sortir de la toile un motif qui porte intrinsèquement une symbolique forte. La nourriture va lui servir à figurer notre propre condition et qu’il y a-t-il de plus fascinant de voir notre quotidien glorifié. Le Déjeuner sur l’herbe de Daniel Spoerri est sans doute la plus belle évocation du Eat Art. Pour cette performance, l’artiste invita 120 personnes à partager un repas au grand air avec lui, à l’issue de celui-ci la table toute entière fut enterrée avec ce qu’il restait comme assiettes et aliments. Quelques années plus tard, une fouille fut entreprise pour retrouver les vestiges de ce moment singulier. Les tableaux pièges de Daniel Spoerri font partie de ce que l’on pourrait nommer « traces de l’existence ». On retrouve ci-dessus un des tableaux pièges de l’artiste, avec tout ce qui peut rester sur la table à la fin d’un repas. L’impression qui s’en dégage est un sentiment à la fois réconfortant et à la fois angoissant, une désorientation sensible comme à la sortie de table.
La salade, c’est bon pour la ligne
L’artiste Giovanni Anselmo créa en 1968, une oeuvre sans titre qui incorporait dans la structure une laitue, celle-ci était remplacée chaque jour par une autre. Le choc visuel lors de la première rencontre avec cet objet plutôt insolite dans un espace d’art fut sans doute au rendez-vous. Pour histoire, la salade fut changée régulièrement pour qu’elle conserve son aspect frais. L’ensemble rappelle une pierre tombale, l’évocation de la mort est aussi renforcée par cette poignée de terre qui traine au seuil du granit et montre encore une fois notre vaine condition d’être mortel.
Le Eat Art aujourd’hui subsiste chez quelques artistes dont Will Cotton et ses tableaux de filles nues dans des nuages de barbe à papa, une manière éthérée et douce de séduire notre regard. Nous le voyons, la dimension esthétique qui n’existait pas durant les premières années de cette mouvance a largement pris le dessus : il y a une recherche évidente du beau et moins conceptuel qui correspond à notre époque tournée vers un néo-hédonisme, ce qui n’est pas pour déplaire.
Tu veux un bonbon ? - Dorothée Selz
Dorothée Selz produit par exemple de monumentales sculptures en sucre, le rendu est très coloré et on se croirait presque arriver dans la Confiserie de Willy Wonka, un moyen de faire voyager le visiteur dans un univers onirique.
Quant à Régis Gonzalez, le simple mot « eat » lui inspire des situations bien plus tragiques, preuve en est cette peinture qui a été exposée à la galerie Domi Nostrae de Lyon l’année dernière dans le cadre de l’exposition « Director’s cut », vous pouvez lire l’interview de Régis Gonzalez en cliquant ici.